Il était une fois, il y a bien longtemps, une tache claire parmi l’immense rideau de forêts qui fermait l’horizon. C’était une colline défrichée par la hache des Gallo-Romains et que les Gaulois cultivaient avec un soin extrême. Les récoltes qu’elle portait attiraient chaque automne des quantités d’alouettes, et les naturels du pays l’appelèrent “la colline aux alouettes”. Losa, en latin, fut rapidement transformé par les rudes gosiers celtes et la loi des diphtongues, en Lausa, Lausum et finalement Lauzun. Ce qui est une hypothèse parmi tant d’autres.
Pour protéger la vallée qu’ils avaient su rendre riche et vivante grâce à leurs fermes (villa = grande ferme), les Romains installèrent au sommet de la colline aux alouettes un puissant opidum. Ruiné par les grandes invasions des Ve et VIe siècles, il servit de base au premier château-fort, au pied duquel les cabanes des serfs et des vilains cherchèrent protection.
Déjà, au XIIe siècle, les Caumont étaient seigneurs de Lauzun. Malheureusement, de cette époque moyenâgeuse, l’Histoire n’a gardé que peu de documents. Nompar 1er prit le parti des Croisés et guerroya contre les Albigeois. Son fils Anissant combattit aux côtés de Simon de Montfort. Durant la Guerre de Cent Ans, les Caumont restèrent fidèles aux rois de France. A cette époque, Jean-Adam Caumont prit le titre de baron de Puyguilhem. Il eut à lutter contre Rodrique de Villandrando, aventurier espagnol qui, à la tête de 4000 soudards, prétendait server Charles VII et ne faisait que ravager toute la Guyenne. Rodrigue assiégea et prit Lauzun.
Après la bataille de Castillon, la paix revint et les seigneurs de Lauzun eurent fort à faire pour sauvegarder les terres usurpées que réclamaient les voisins lésés par leurs empiétements.
Sans doute, les Caumont prirent part aux guerres d’Italie et jouèrent un rôle important pendant les guerres de religion. François de Caumont, resté fidèle à la religion catholique, fut un des plus dévoués capitaine de Montluc.
En août 1565, le roi Charles IX coucha à Lauzun.
En 1570, la baronnie fut érigée en comté.
En 1576, le future Henri IV se présenta à la porte du château de Lauzun pour souper et coucher.
Aussitôt, la cloche fut sonnée à toute volée pour appeler les vassaux ; ils accoururent si nombreux qu’Henri de Navarre en fut mécontent ; “Mon cousin, dit il à Lauzun, vous êtes plus puissant que moi ; faites descendre cette cloche que je ne l’entende plus ».
Les États Généraux ayant été convoqués en 1614, le comte de Lauzun fut élu un des premiers comme représentant de la noblesse. Gabriel II de Caumont, fils du précédent, resta fidèle au roi lors d’une guerre civile qui désola la Guyenne en 1621-1622.
Au siège de Tonneins-Dessus, il fut blessé à la cuisse. Le duc d’Elboeuf prit et rasa la ville qui appartenait au duc de La Force, révolté contre le roi de France. La Force fit sa soumission et reçut en échange le bâton de maréchal de France.
Le comte de Lauzun supportait mal le joug de d’Epernon, gouverneur de la Guyenne, et encore moins celui de Richelieu. Dès le début de la Fronde, il fut Ligueur. Sa femme Charlotte, fille du duc de La Force, était protestante et ennemie de Mazarin.
La révolte éclata le 18 janvier 1650 dès qu’on sut l’arrestation du Condé, Conti et Longueville. La princesse de Condé chercha refuge à Bordeaux et y fut reçue chaleureusement. Le comte de Lauzun fut un de ses plus chauds partisans et s’agita fort.
La libération des princes, la nomination de Condé comme gouverneur de la Guyenne et son arrivée à Agen ne calmèrent pas les esprits. La lutte s’accentua entre le prince et Anne d’Autriche. Les hostilités éclatèrent. Lauzun suivit l’armée de Condé.
Comme punition, le général d’Harcourt réquisitionna sur ses terres, du 12 au 25 mai 1652, deux mille cinq cents rations de pain par jour. La position du comte était critique, car les généraux de l’armée royale voulaient raser le château pour en punir le maître. Mais au lieudit Les Batailles, leurs troupes furent repoussées avec une telle violence que, rompues, elles s’enfuirent en débandade, laissant plus de cinquante morts sur le terrain. La province, épuisée, fit sa soumission.
Gabriel de Caumont mourut en 1660. Il avait épousé Charlotte de Caumont, de la branche de la Force, et eurent neuf enfants. Antonin, le « beau Lauzun » dont les aventures allaient si longtemps défrayer la chronique, était le troisième.
Sa vie fut aussi longue qu’aventureuse : « Monsieur de Lauzun, écrivait Saint Simon en 1705, est un nom sur lequel il faut enrayer tout court si l’on en veut faire un juste volume et même plus » ; et La Bruyère, dans ses « caractères », ajoutait : « Il n’est pas permis de rêver comme il a vécu ». En effet, Antonin, simple cadet de Gascogne, sans titre ni fortune, eut une étrange et brillante destinée.
A 14 ans, son père le mit à « l’école des courtisans » et l’envoya à Paris près de son cousin le Maréchal de Gramont. Sa vie nous prouvera qu’on en avait bien retenu les leçons. Jeune homme, il fut un cavalier si souple et si élégant que toutes les dames de la Cour raffolaient de lui. Son regard plein de flammes fit battre bien des cœurs et fit verser bien des larmes, ses bonnes fortunes furent innombrables : il était le type même du séducteur.
Louis XIV le remarqua et le nomma colonel des Dragons de sa Garde, puis en 1660 capitaine de Cent Gentilshommes. Il devint favori car le roi aimait son esprit, ses réparties mordantes, son audace. L’estime en laquelle le tenait le monarque et le crédit dont il jouissait auprès de lui, lui valurent de sérieuses jalousies. Louvois put en grand peine empêcher sa nomination comme grand maître de l’Artillerie. Il confia sa déception à Madame de Montespan, alors sa grande amie et favorite en titre. Elle promit de parler à son royal amant.
Pour en avoir le cœur net, Lauzun, téméraire en diable et diablement indiscret, osa se cacher sous le lit de la belle et de là, « suant à grandes gouttes »surprit la conversation avec Louis XIV. Au lieu de le défendre, elle accabla Lauzun, parla de son arrogance, de sa vanité, et persuada le roi de ne rien faire pour lui. Quelques heures plus tard, Lauzun demandait à la marquise des nouvelles de son entretien. Elle lui affirma qu’elle l’avait bien servi, cita ses prétendues paroles. Il la laissa raconter puis, la tenant par la main lui dit doux et bas, mot par mot, tout ce qui s’était passé entre eux sans y manquer d’une syllabe ; et de là, toujours doux et bas, l’appelle par les noms les plus infâmes, les plus injurieux et l’assure qu’il lui coupera le visage et la langue. Madame de Montespan arriva au Palais plus morte que vive ayant presque perdu connaissance. Le roi et elle crurent que ce ne pouvait être que le démon qui lui eut rendu un compte rendu si prompt et si fidèle de ce qui s’était passé » (Saint Simon).
Après cet éclat, un autre que lui serait parti se cacher au fond de ses terres ; c’eût été mal connaître Lauzun. Deux jours après, il eut l’insolence de demander au roi pourquoi la charge promise ne lui avait pas été accordée. Il cassa son épée devant lui, criant : « qu’il ne voulait plus servir un prince qui lui manquait de parole pour une femme de rien ». Le roi, blême de colère mais se maîtrisant, ouvrit une fenêtre et jeta sa canne, ne voulant pas battre un gentilhomme. Arrêté, Lauzun fut embastillé. Il ne resta que six mois, car le roi aimait son esprit et sa compagnie, il reparut donc à la Cour plus insolent, plus influent que jamais.
Déjà à cette époque, 1662, la Grande Demoiselle (cousine germaine de Louis XIV) commençait à l’aimer. Elle avait 34 ans et lui 28. Il n’était pourtant pas beau, plus riche de défauts que de qualités, vaniteux, volage, ambitieux, solitaire, sauvage, chagrin, extrêmement brave et dangereusement hardi, insolent parfois et capable de bassesses pour arriver à ses fins. Aucune culture, aucun agrément de l’esprit, mais une physionomie haute qui en imposait ; fut noble dans toutes ses façons et son esprit étonnant.
Il avait ce qui ne s’analyse pas, le plus mystérieux des dons, celui de plaire. La Grande Demoiselle cependant l’adora. En 1662 elle n’était point si éblouie qu’elle ne le vit pas tel qu’il était avec ses cheveux mêlés de gris, fort embroussaillés et souvent gras, ses beaux yeux bleus, mais quai toujours rouges, son bout de nez pointu et rouge. « Pour son humeur et ses manières je défis de les connaître, dit-elle, de les dire ou de les copier ». De 1662 en 1672 la faveur de Lauzun grandit et l’amour de la princesse augmenta. Au siège de Courtrai en 1667, puis à celui de Lille, il se signala par sa vaillance. Décidément éprise, Mademoiselle résolut de l’épouser. Mais la différence entre elle et Lauzun était immense, le roi ne consentirait jamais à cette union. Toute la Cour s’amusait de la passion de cette romanesque princesse de quarante-trois ans éprise pour la première fois. Elle jugeait Lauzun la seule personne digne de son choix. L’intrigue s’éternisait, Lauzun continuait à paraître aveugle et sourd, mais plein de respect pour la princesse. Il lui conseilla même de se marier puis cessa de la voir pour ne pas la compromettre. Exaspérée, Mademoiselle lui avoua son amour. Mais le roi consentant d’abord à cette mésalliance, se ressaisissant, disait non sur la prière de tous les Seigneurs de la Cour indignés, Mademoiselle cria, pleura, se désespéra. Lauzun la réconforta et lui conseilla d’aller dîner avec le roi pour le remercier d’avoir rompu une affaire de laquelle elle se serait repentie dans quatre jours ». Il affirme au roi lui même son obéissance et le roi charmé lui promit des faveurs qui rendraient jaloux ses envieux. Il fut nommé gouverneur du Berry avec 50.000 livres de cadeaux. Mademoiselle ne se consolait pas. Peut-être y eut-il alors entre elle et Lauzun un mariage secret. Mais la rancune de Madame de Montespan qui haïssait Lauzun amena la catastrophe ; elle présenta Lauzun sous un tel jour au roi, le montra fourbe, parjure, disant que sa vie même n’était pas en sûreté tant qu’il était libre, qu’à la fin le roi le fit arrêter et conduire à la forteresse de Pignerol le 25 Novembre 1671 par d’Artagnan. Il y resta 10 ans dans une captivité très dure, ne recevant aucune nouvelle. On crut qu’il allait perdre la raison, aucune distraction intellectuelle ou physique ne lui était permise. Durant deux ans personne ne lui parla : il était retranché du monde des vivants, emmuré dans un cachot sombre et humide aux grilles solides. Au bout d’un an, il était méconnaissable. Fouquet était son voisin de cellule ; ce n’est qu’au bout de six ans qu’ils purent communiquer. En 1676, Lauzun, après avoir durant trois années travaillé à percer le mur de sa geôle avec de vieux clous et de vieux couteaux, passa dans le cachot voisin, descella un barreau de fer et à l’aide d’une corde faite avec son linge arriva dans les fossés ; aperçu, arrêté, il fut surveillé plus étroitement. Elle, fidèle et exaltée, ne l’oublia pas un instant, montrant aux fêtes de la Cour un visage douloureux. En 1677, sa sœur demanda sa libération et obtint de le voir. Amené au grand jour, Lauzun, pâle, amaigri, abattu, fut ébloui. Il avoua qu’il ne comprenait plus rien aux paroles prononcées par son avocat. Sa sœur ne le reconnut pas et s’évanouit. De son côté Mademoiselle agissait, le roi et Madame de Montespan monnayèrent sa libération de façon assez odieuse. Le roi lui permit de venir le saluer et le reçut, glacial, et le congédia. Il vit Mademoiselle chez la Montespan. L’entrevue fut assez froide. Il était vieilli, changé, démodé, « le charme était rompu ». Mademoiselle lui donna plusieurs domaines, mais il se plaignit « qu’elle lui avait donné si peu qu’il avait eu peine à l’accepter ! ».
C’est alors seulement qu’eut peut-être lieu un mariage secret suivi de deux ans de brouilles, de disputes, d’une vie intolérable malgré les réconciliations. Il trompait la princesse ouvertement avec des grisettes. C’est en 1682 qu’il acheta dans l’île Saint-Louis le bel hôtel du quai d’Anjou, appelé encore hôtel de Lauzun.
En 1684, Mademoiselle et lui se séparent définitivement. En 1688, il retrouve sa chance. Il alla en Angleterre où grondait la Révolution, arriva à temps pour sauver la famille royale, ramena en France la reine et le prince de Galles. Le roi fut reconquis et rappela Lauzun à la Cour malgré la fureur de Mademoiselle. Jacques II fit du comte son intime et lui donna l’Ordre de la Jarretière. Il fut chef de l’expédition manquée d’Irlande destinée à remettre Jacques II sur le trône. Louis XIV, sans rancune, fit du comté de Lauzun un duché ; le triomphe du petit cadet de Gascogne était complet.
Mademoiselle étant morte en 1693 sans avoir voulu le revoir, Lauzun se remaria en 1695, à 63 ans avec Geneviève-Marie de Durford, fille du Maréchal de Lorges, âgée de 15 ans. La petite le prit pour être libre, riche et grande dame, croyant être vite veuve ! Lauzun vécut encore 28 ans. Il eut une vieillesse magnifique, recevant somptueusement, toujours recherché dans sa mise et pétillant d’esprit. Il s’éteignit à l’âge de 90 ans.
Telle fut la vie du Duc de Lauzun, qui rejeta dans l’ombre ancêtres et contemporains.
Horaires d’ouverture :
le lundi de 14:00 à 17:00
mardi et mercredi de 9:00 à 12:00
et de 14:00 à 17:00
jeudi, vendredi et samedi de 9:00 à 12:00